Caroline Canault, Critique d’Art

Les travaux de Sandrine Aléhaux interrogent la possible survivance d’une dualité picturale portée par une énergie esthétique vitale. 

Dépasse –  2012  – 61 x 46 cm

Sa peinture est énergétique, atmosphérique, organique avec des craquements apparents. Ce sont des fêlures, les symboles du lien, les caractères inséparables de propositions complémentaires voire contradictoires.

“Les fêlures sont générées par un mouvement, une sorte de chemin qu’emprunte l’énergie et qui traverse la toile. Comme un éclair qui laisse sa trace dans le ciel, un tremblement de terre qui se propage à travers la terre, ou encore une cellule masculine qui va à la rencontre d’une cellule féminine. C’est la force de vie en somme.”

Sandrine Aléhaux met ainsi en tension deux éléments, deux niveaux qui se superposent. Une « opposition extérieure et une division intérieure » qui pourrait s’apparenter à la dialectique hégélienne où tout se développe dans l’unité des contraires.

« Nous avons deux principes en chacun de nous ; un féminin, un masculin. Chacun donnent de la puissance à l’autre. Ces deux principes cohabitent et donne vie à une œuvre.

Le principe féminin est, à mon sens, celui qui aide à développer, c’est l’énergie créatrice, la matrice. En peinture, il s’exprime par le support, le fond, le paysage, la forme. Il permet au principe masculin de laisser libre cours à son expressivité. Ce dernier s’exprime par la gestuelle, le trait, le mouvement, le courant, les éclats… Il est timide, imprécis, franc, chaotique, éparpillé, colérique.”

Ce contraste retient autant la forme abstraite que le procédé. A l’image d’un équilibre des forces, la démarche méthodique de l’artiste est savamment pesée.

Elle jette au préalable quelques idées sur un carnet sous forme de croquis, prépare la toile avec plusieurs couches de Gesso, parfois de poudre de marbre, qu’elle ponce et dans laquelle elle laisse des traces. Elle dessine ensuite les fêlures au couteau ou à l’aide d’un bambou. Pour apporter la texture, elle utilise tout procédé qui érode, gratte ou dépose. Puis à l’aide de la peinture à l’huile, elle laisse couler le fluide dans les reliefs avec les glacis en plusieurs couches avant de mettre les accents sur les “éclaboussures.”

Le blanc reste très présent.


“Il a valeur de contraste et laisse tout le potentiel au trait. Il porte le geste, le renforce et relie les éléments entre eux. Le blanc est un élément à part entière. Il n’a pas d’identité. Il est pur, primal et porte toutes les couleurs. Il permet de peindre le monde invisible.”

Pour représenter ce monde imperceptible et impalpable, l’artiste trouve son inspiration dans les leçons de magie qu’enseigne Merlin au jeune Arthur.*

Une toile pour une leçon, son tour de passe-passe s’inspire du blanc fondateur et induit des rapprochements de couleurs créant des profondeurs. Apparente comme une illusion d’optique, cette notion de relief est à l’origine de l’abstraction visuelle et se révèle presque comme une tromperie visuelle. L’artiste donne à voir en s’attardant sur un fragment qu’elle sublime. Elle porte attention aux accidents, aux failles de l’essence originelle qui pourrait se dire toujours autrement. Entre statisme et vibration, elle convoque la rémanence et la résurgence des rapports énergétiques en circulation et fige leur empreinte fossilisée. Sandrine Aléhaux nous englobe dans une absorption visuelle. Issues du souterrain de l’imaginaire collectif, ses fêlures sont des cavités, un espace ténébreux où tout se crée, un antre magique enfoui dans la profondeur de la vie. Un souffle vital pénétrable, d’une grande force poétique.

* La voie du Magicien,Transformez votre vie avec l’enseignement secret de Merlin l’Enchanteur, Deepak Chopra, J’AI LU, 2011.